13 avr. 2016

INTERVIEW (2) DE SÉBASTIEN RENAUD - PRÉPARATEUR PHYSIQUE DU CENTRE DE FORMATION ESTAC

Suite de l'interview....

Quelles sont les qualités athlétiques nécessaires exigées au haut niveau, pour devenir footballeur professionnel ?
A l’extrême je dirais aucune ! Je m’explique : Si tu es monstrueux techniquement et tactiquement, tu peux devenir un joueur de classe mondiale. Pirlo, Xavi sont-ils des monstres physiques ? Endurant moyenne, Vitesse de course faible, Puissance/Impact très faible et pourtant quels joueurs !! Cela reste des exceptions mais cela montre que c’est possible sans qualités athlétiques.
En revanche, ils démontrent d’autres qualités de vitesse hors du commun : vitesse du ballon, vitesse de prise d’information.
Sinon on peut être joueur professionnel sur une qualité forte : Vitesse, Puissance ou endurance.

Par contre, plus on monte de niveau, plus on doit être capable de répéter sa qualité forte.

Quelles sont les particularités dans l’approche de la préparation physique avec les jeunes ?
C’est surtout le fait que l’on cherche à développer des qualités sur plusieurs années. Notre priorité numéro 1 est la progression de l’individu dans parcours de formation. Ici, le résultat du week-end n’est qu’un élément de processus de formation. L’important étant qu’il exploite au maximum son potentiel, qu’il grandisse en tant que personne.
Pour cela, on essaie de déceler très vite ses forces, ses faiblesses tant sur le plan physique que technique et mental. Et on place dans son plan de formation, des contenus additionnels ou spécifiques pour qu’il puisse progresser au mieux.

"...on place dans son plan de formation des contenus additionnels ou spécifiques pour qu'il puisse progresser au mieux."


Comment t’organises-tu pour le suivi de la charge d’entraînement ? Quelle méthode utilises-tu ?
J’ai essayé plusieurs outils pour essayer de quantifier l’entrainement ces dernières années sans avoir avoir une réelle continuité ce qui est très gênant.
J’ai d’abord essayé de créer un outil perso (une macro Excel sur ordinateur que le joueur devait remplir) mais la mise en place était difficile. Ensuite j’ai essayé l’Application Qtest : Les joueurs remplissent et saisissent leur RPE (Rate Perceived Exertion) sur la séance mais je trouve le recueil des données assez faible et contraignant.
Cette année, j’ai eu accès à la plateforme TrainingLoadPro pendant 6 mois avant que le club arrête la collaboration avec cette société par rapport aux professionnels ou j’ai découvert un très bon outil qui permet de bien suivre la charge d’entrainement de l’équipe, individuelle et surveille plusieurs marqueurs (sommeil, humeur, sensations etc.…) qui est très enrichissant et complémentaire.

Maintenant j’utilise MyCoachRPE qui est assez similaire mais un cran en dessous dans l’analyse et l’aide à la décision.
Mais le plus important n’est pas l’outil seule mais la façon d’agencer les semaines de travail, leur programmation et leur régulation. Nous croyons que le match ne doit pas être la « séance » la plus difficile de la semaine. En programmant des séances plus dures que les matchs nous pensons que le joueur se retrouvera dans les capacités physiques de l’appréhender sans souci et lui permettra de plus se concentrer sur les aspects technico-tactiques. Nous organisons donc notre semaine ainsi : (voir ci-dessous).

"Nous croyons que le match ne doit pas être                                    la séance la plus difficile de la semaine"

Que penses-tu de la méthode intégrée ?
J’en pense le plus grand bien. On forme des footballeurs pas des marathoniens ni même des sprinters. Je pense que si on peut intégrer une approche technique ou tactique en rapport avec l’objectif de travail alors il faut le faire. En revanche je ne suis pas pour le « tout intégré », surtout chez les jeunes. Nous avons fait le pari du tout intégré un temps et nous en avons vu les limites. Le moindre effort sans ballon devient très difficile et les joueurs perdent le gout de l’effort.
Le travail dissocié apporte des valeurs mentales qu’il ne faut pas sous-estimer.

Je sais que vous utilisez l’approche par préférence motrice, peux-tu brièvement nous en parler ?
C’est une approche qui permet de repérer la motricité de l’athlète à travers l’observation et quelques testings comportementaux. C’est une méthode développé par Cyrille Gindre (www.volodalen.com) que j’ai connu il y a 10 ans à Troyes où il observait et se questionnait encore sur ces comportements. On y trouve également des points communs avec la méthode Action-Type élaboré par Bertrand Theraulaz et Ralph Hippolyte.
Pour faire simple, il existe 2 grandes familles de motricité : Les Aériens (N) et les Terriens (S)
Les Terriens ont une motricité qui s’enclenche par le bassin, avec une attaque de la course par le talon, des chaines musculaires adductrices plus fortes et un référentiel visuel terrestre. Leur mode d’expression est plus dans la poussée concentrique, dans les crochets intérieurs, les frappes intérieures du pied…Exemples de Terriens : Ben Arfa, Nasri, Ibrahimovic, Matuidi…
Les Aériens ont, eux, une motricité qui s’enclenche par les épaules avec une attaque de la course sur la plante de pied, des chaines musculaires abductrices plus fortes et référentiel visuel aérien (ciel).
Leur mode d’expression est plus dans le rebond (pliométrie), les crochets extérieurs, les frappes coup de pied. Exemple d’Aériens : Cristiano Ronaldo, Messi, Bale, Mandanda…
Il est aussi remarquable de voir que chaque motricité est reliée à un type de personnalité (MBTI). La façon dont je bouge influence la façon dont je pense et inversement. On référence environ 192 types de profil selon plusieurs critères moteurs et psychologiques, sans parler de tous les apprentissages effectués dans l’histoire de l’athlète qui peut apporter une autre singularité.
L’idée est juste de remarquer les préférences motrices des personnes, de cerner un peu leur personnalité afin de proposer des exercices adéquats aux athlètes et en adoptant un dialogue qui lui parle. Par exemple, il ne faut pas s’étonner de voir des tendinites arriver chez des Terriens après des séances de pliométrie haute !
J’ai essayé de faire court mais c’est dur car je pourrais en parler des heures tellement c’est compliqué mais fascinant !

Si tu devais donner un conseil à des jeunes qui souhaitent s’orienter dans cette voie ?
De beaucoup s’investir, d’aimer le foot, d’aimer travailler en équipe, de continuer à enrichir ses connaissances, de rester humble (car on n’est pas un expert du jour au lendemain) et pour finir de toujours pensez que l’on entraîne des êtres vivants en perpétuel changement, alors ouvrez les yeux sur le terrain et pas seulement sur les livres !

Un grand merci à toi Sébastien, pour ta disponibilité, ton partage et la richesse des échanges ! Bonne fin de saison !!

12 avr. 2016

INTERVIEW (1) DE SÉBASTIEN RENAUD - PRÉPARATEUR PHYSIQUE DU CENTRE DE FORMATION ESTAC

Bonjour,

Aujourd'hui, je vous fais connaître un préparateur physique en poste depuis plus de 10 ans avec les jeunes au centre de formation de l' ESTAC à TROYES. Un préparateur physique qui partage, échange et s'intéresse toujours aux nouveautés, et qui m' a accueilli en toute simplicité pour mes stages. Une expérience significative qu'il nous fait le plaisir de partager...une mine d'informations à décrypter !!! Interview en 2 parties ! Bonne lecture à tous !

Peux-tu te présenter et décrire ton parcours jusque-là ? (parcours scolaire, diplômes, expériences professionnelles, etc…)
RENAUD Sébastien, 32 ans, né à Dijon, Marié, 3 enfants.
Je suis entraineur/préparateur physique du centre de Formation de l’ESTAC depuis juin 2005.
J’ai étudié à l’UFR STAPS de Dijon jusqu'en Master 1ère année avec en parallèle le Diplôme Universitaire de Préparation Physique du CEP de Dijon. J’ai eu la chance d’avoir comme Maître de Conférence Gilles COMETTI qui nous régalait à chaque cours d’anecdotes et d’expériences vécues, à chaque fois un Grand Moment !
En Master 1 et avec le DU nous devions faire un stage pratique et grâce M. Franck TAIANA, j’ai eu la chance avec un autre étudiant et ami de faire mon stage pratique à l’ESTAC (moi sur les 14 ans Fédéraux et la réathlétisation de l’équipe Professionnelle, lui sur les 16 ans et 18 ans Nationaux à l’époque). L’année d’après je me suis retrouvé seul pour tout le centre de Formation, toujours en tant que stagiaire/étudiant. On allait au club  Mardi/Mercredi/Jeudi et seulement en cours le vendredi donc j’ai « dû » redoublé mon Master 1.
En 2007/2008, je suis embauché et je passe mon BE 1er degré football en parallèle.
En 2011/2012, je passe et obtiens le Certificat Entraîneur Préparateur Physique (une excellente formation, et une très belle expérience enrichissante).

Pourquoi avoir choisi la filière préparation physique ?
Pour 2 raisons en fait : 
La 1ère c’est que je me suis très vite tourné vers l’entrainement des jeunes (dès 18 ans) et que j’ai vraiment eu l’envie de faire apprendre, progresser, former les jeunes donc d’être vraiment un entraîneur de football en 1er lieu.
La 2ème, c’est que je m’étais toujours demandé ce qu’il manquait en tant que joueur pour pouvoir passer le palier professionnel. Je jouais en 15 ans Nationaux au DFCO, j’étais plutôt en avance technique/tactique au début, étant même Capitaine, mais je voyais mes coéquipiers qui progressaient plus vite que moi, me rattrapaient et me dépassant même très largement pour certains. C’était frustrant et ces questions sont restées très longtemps dans ma tête jusqu'aux cours sur l’entrainement et la préparation physique aux STAPS. Là ça m’a éclairé et passionné !
Sachant qu’il est plutôt dur d’être entraîneur dans des clubs pro sans avoir été pro, je me suis tourné vers la PP me disant que c’était un excellent moyen d’être au contact de bons entraîneurs et d’apprendre avec. Et je ne le regrette pas du tout aujourd’hui !

Quelles sont les missions, la place et le rôle du préparateur physique dans un centre de formation d’un club professionnel ?
Les missions sont multiples car je suis seul pour plusieurs équipes. Cela apporte de bonnes et de moins bonnes choses dans la vie au quotidien.
Je mets en place les contenus nécessaires au développement des qualités physiques des groupes U17 et U19/CFA en fonction de la planification tactique définie par notre équipe d’éducateurs.
Je cherche à développer également les qualités individuelles propres à chaque joueur en fonction de leur profil énergétique, moteur et état de forme.
Je surveille et contrôle les charges d’entrainement du groupe U19/CFA à l’aide de marqueurs perceptifs afin de pouvoir réguler ces charges de manière collective ou individuelle.
Je prends en charge dès que possible la réathlétisation des blessés sur le terrain avant leur retour dans le groupe d’entrainement.
Je participe à l’éducation motrice de la préformation par des cycles de motricité, de coordination.

Quelles sont les qualités nécessaires pour être un préparateur physique ? Chez les jeunes ?
La qualité numéro 1 (pour moi) c’est d’être avant tout un coach de sa discipline. Il faut connaitre son sport, ses demandes pour être capable de donner des réponses adaptées à la spécialité aux coachs.
Deuxièmement, être hyper réactif et s’adapter aux mieux aux demandes des coachs ou une individualisation d’une situation pour un joueur.
Enfin, toujours accroître ses connaissances. On a toujours à apprendre de n’importe qui. Cela ne veut pas dire croire tout ce qu’on lit ou voit etc… mais prêter attention, s’informer, creuser et se faire son avis. Se dire : « ça j’y crois, ça me parle, je veux le faire » ou «  ça, oui peut-être mais dans mon contexte je préfère pas ». Il faut faire des choix, prendre des orientations. Philippe LAMBERT (adjoint et PP du PSG) nous disait : « Le PP est comme un cuisto. Son meilleur livre de cuisine c’est lui-même. Je connais différents ingrédients et je choisis ceux que je veux pour faire la meilleure sauce possible. »   
Après avec les jeunes, il faut être capable d’adapter son langage, son attitude pour créer du lien mais garder une certaine autorité car la PP c’est ce qu’ils détestent le plus dans le foot.

Qu’est ce qui te passionne le plus dans ton métier ? le moins ?
Ce qui me passionne c’est de participer à la construction et à l’évolution d’un homme. De travailler dans le sport que j’aime le plus. Et d’apprendre encore et toujours.
Les aspects négatifs sont les contraintes structurelles de notre club. On doit emmener et ramener les jeunes U19 au stade de l’Aube pour s’entraîner entre 1 et 2 fois par jour. On perd presque 1 heure dans les transports par jour, ça c’est usant.

Comment vois-tu la préparation physique dans 10 ans ?
Difficile à dire, car une nouvelle mode apparaît tous les 3-4 ans selon le club dominant le football mondial. Il y a eu le boom du travail intégré avec les espagnols et les portugais.
Il y a 5-6 ans c’était le début des GPS et maintenant de plus en plus de clubs en ont. Maintenant de plus en plus de clubs s’intéressent aux échelles RPE (Rate Perceived Exertion). En marge de ça, on voit apparaître chaque année une « nouvelle méthode révolutionnaire d’entrainement ».
Il faut rester prudent, à l’écoute de l’évolution des connaissances mais surtout se concentrer sur les demandes du jeu et de chaque type de jeu et prendre beaucoup de recul par rapport au Big DATA ! On peut faire dire n’importe quoi aux chiffres !

La 2ème partie de cet interview passionnant à venir...